Par Oumar NDIAYE*
Les crises
sont des moments de déficit de sérénité. Mais elles doivent aussi avoir des
heures de lucidité afin de pouvoir comprendre ce qui nous arrive, nous
organiser dans l’urgence et les conséquences, et y faire face demain.
En un laps de temps, une crise sanitaire locale est devenue
planétaire. Les systèmes de santé des pays ont été obligés de s’adapter jusqu’à
être dépassés. Il est rare de voir une menace sanitaire se globaliser en si peu
de temps. C’est une première. Mais ne nous s’y trompons pas. Les menaces à
venir seront toutes planétaires. Globalisation oblige. Leurs propagations se
feront à grande vitesse… Le cycle des incertitudes gouvernera désormais
l’humanité. C’est fini, les certitudes dans plusieurs domaines de la vie
active.
Gardons
donc à l’esprit que dans l’époque où nous vivons, les crises ne seront pas
exceptionnelles. Elles se propageront de manière exponentielle et relèveront
d’un caractère multidimensionnel. Déjà éducation, sport, tourisme, tous sont à
l’arrêt. Nous vivons donc une ère « crisogène », avec des phénomènes
de crise qui s’accélèrent et s’amplifient à un rythme soutenu. Ces crises sont
aujourd’hui des menaces sécuritaires et
sanitaires et sont des marqueurs et curseurs de notre monde….
DU LOCAL AU GLOBAL. C’est vers
la fin des années 60 que le canadien Marshall Macluhan nous parlait déjà d’un monde devenu village planétaire en référence aux moyens de
communications. Sa théorie très célèbre du « Global Village » a
pendant longtemps rythmée la vie des sciences de l’information et de la
communication. Macluhan n’avait pas tort de nous dire que nous sommes dans un
monde « où l'on vivrait dans un même temps, au même rythme et donc dans un
même espace ». Une théorie confirmée aujourd’hui par la mondialisation du
« tout et de tout ». Des finances au football en passant par Facebook
et nous le souhaitons pas des funestes décomptes avec l’urgence sanitaire qui
secoue le monde entier.
Parti du local, le coronavirus avec sa trajectoire
virale, a atteint un niveau global qui fait peur et inquiète. L’interdépendance du monde a fait que les
séquences sont aujourd’hui les mêmes dans presque toutes les télévisions du
monde avec les mêmes conséquences sur nos vies et nos peurs. Partie de Wuhan en
Chine continentale, cette pandémie a gagné peu à peu, toutes les autres parties
du monde. A ce jour 163 pays sont directement touchés sur un total de 198 pays
que compte la planète. C’est dire que ¾ du monde est sujet à cette crise
sanitaire. Dans notre époque contemporaine, rare événement n’a eu autant
d’attention et donné tant de convulsions que cette urgence sanitaire qui a eu
même le don de reléguer sur la touche les problématiques sécuritaires au
premier desquelles la question terroriste. Son déclenchement a été
local et ses répercussions globales. La connexion entre le local et le global n’a
jamais été aussi fatale.
CONTINUUM DEFENSE-SECURITE-SANTE. Depuis le début des années 2000, les bouleversements dans le
monde ont été toujours portés par les menaces asymétriques de type sécuritaires
qui ont fini de se mondialiser sous diverses formes (terrorisme, trafics de
tout genre). Mais aujourd’hui le coronavirus a montré aussi que les urgences
sanitaires aussi peuvent nous amener à une situation de dépassement avec ces
scènes de vie qui ressemblent à bien des égards à des images de guerre et leur
lot de désolation. L’adaptation de nos systèmes
de santé face à ce nouveau type de menaces doit se faire à l’aune de celui
sécuritaire qui a eu à affronter des menaces du même type. C’est-à-dire de
provenance inconnue, diffuse et confuse. Face aux menaces dites
asymétriques incarnées essentiellement par le terrorisme, les appareils
sécuritaires du monde entier ont été obligés de revoir leur dispositif. Formatées pour faire face aux menaces dites
symétriques, c'est-à-dire venant d’un ennemi connu et localisé, souvent un
Etat, ces appareils sécuritaires ont vu émerger en face d’elles, de nouvelles
menaces diffuses et inconnues. Dans ces réponses, ces appareils ont développé
ce qu’ils appellent un continuum entre la sécurité et la défense, c’est-à-dire
une coopération étroite entre les acteurs
publics civils et militaires qui n’est pas contradictoire avec des cultures
professionnelles et des référentiels juridiques spécifiques. La
défense implique la protection d’un territoire face à des menaces externes
alors que la sécurité a été mise en avant pour protéger les citoyens à
l’interne. Ces deux aspects devraient être pris en compte pour voir comment
faire face aux autres urgences sanitaires à venir. Et aussi mettre la riposte
sanitaire en amont ou en aval et qui doit être le fil conducteur de ce
continuum…..
Cette
crise est une occasion ainsi pour notre système de santé d’apprendre sur
lui-même, d’apprendre des autres et apprendre aux
autres. Chez les Chinois, où a pris départ cette crise sanitaire planétaire,
ils désignent le terme « wei ji » pour traduire le mot crise avec ainsi
deux versants, le risque et l’opportunité. Opportunité pour comprendre,
d’apprendre de sa fragilité, de s’adapter et capacité à faire face à l’urgence.
Donc
apprenons et adaptons nous vite. « Celui qui excelle à résoudre les
difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent », nous enseigne aussi
la sagesse d’un grand maitre chinois, Sun Tzu, connu pour être un chantre de la
pensée sécuritaire…
Wuhan
n’était pas si lointain de nous alors…..
*Journaliste
et diplômé en Relations internationales et études de sécurité