C’est la spécificité des grandes batailles ou des révolutions. Il y a ceux qui les font et ceux qui en profitent. Un an après cette grande révolution citoyenne du 23 juin 2011, j’estime que les héros ou même le héros de cette journée mémorable ne sont pas ceux qui occupent à tour de rôle les médias pour réclamer une paternité. A juste raison peut être…. Mais les héros du 23 juin ou le héros sont chez eux après que 365 jours se sont écoulés. En ce jour anniversaire, ils sont quitte avec leur conscience et sont heureux de cette matinée estivale pour avoir participé à cette seule bataille qui valait d’être vécue de l’année 2011 au Sénégal. Ce héros ou ces héros du 23 juin sont anonymes comme l’est le soldat inconnu qui dort sous l’Arc de Triomphe de Paris où une flamme qui ne s’éteint jamais rappelle aux touristes et visiteurs du soir que si ce n’était pas des gens comme lui on ne serait pas là à parader ou à prendre des photos. Le héros de ce 23 juin est à l’image de ce soldat inconnu dont le nom est jusqu’à présent invisible sous la plaque de sa tombe. Le 23 juin 2011 dans un élan populaire, des Sénégalais se sont levés sans qu’ils ne soient appelés, et ont investi le centre ville de Dakar avec comme point de ralliement la place Soweto, siège de l’Assemblée nationale. Certains ont laissé boulot, cours, occupation, famille inquiète, en se disant, que s’ils laissent faire, ils auront des comptes à rendre à l’histoire, à leurs enfants et petits enfants. Notre pays était à un tournant décisif où il fallait choisir entre la royauté ou continuer de vivre dans une république. Une république que nos pères, grands pères, oncles et aînés nous ont léguée intacte. Il nous incombait donc d’en faire de même à nos enfants et petits enfants. Si nous avions accepté cela, demain nous ne nous indignerons pas si nos enfants acceptent de vivre dans une monarchie. Frantz Fanon avait raison de dire que «chaque génération a une mission. A elle de la remplir ou de la trahir ». Ceux de ma génération ont, modestie à part, rempli leur mission à refusant de retourner à la royauté plus de 100 ans après son abolition. De tous les gens avec qui j’étais devant l’Assemblée nationale, ce 23 juin 2011, j’en ai distingué deux personnes à qui j’attribue la paternité de cette victoire. L’élève inspecteur avec qui j’étais assis sur les trottoirs discutant de l’avenir de notre pays. Il m’avait dit qu’il a séché ses cours à l’Ecole Normale Supérieure pour venir « défendre sa patrie » comme il l’a toujours fait quand celle-ci l’a appelé. Une riche carrière l’attend dans l’administration s’il finit ses études, mais cela n’avait aucune importance quand la nation était en danger et il revenait à ses dignes fils qui doivent prendre ses destinées d’ici quelques années de la défendre. Peut être qu’on se verra pas plus jamais mais je garde de lui une phrase qu’il aimait prononcer cette matinée-là. « Seuls les gens libres sont là. Ceux qui ne sont pas venus et qui n’ont pas de raison, sont ceux qui ont toujours accepté la soumission ».
L’autre personne qui m’a marqué ce jour et que je considère comme le héros du 23 juin, c’est mon voisin dont je ne connais pas le nom jusqu’à présent. Cette matinée -là on s’est croisé dans la boutique du coin quand j’achetais du pain. Il m’a dit « qu’il faut aller à l’Assemblée défendre notre patrie ». J’étais surpris par sa réaction moi qui le voyais toujours avec son allure correcte et nonchalante dans les ruelles de mon quartier, comme un gosse de banlieue aisée. Avec ses lunettes fines comme celles des curés d’église et son visage marqué par ce que les Chinois « les feux sacrés de l’intelligence », il était selon ce que j’ai appris plus tard, un jeune fonctionnaire qui a fait de bonnes études. Quand je l’ai vu arriver au petit matin, après moi à la Place Soweto, j’ai compris que cette journée allait entrer dans l’histoire, parce que des hommes et femmes, anonymes, sans aucune coloration militante ou partisane, constituaient le gros de la troupe de soldats engagés à défendre leur patrie. L’histoire leur a donné raison et ils continuent leur bonhomme de chemin dans leurs vies respectives sans attendre une quelconque récompense à leur participation à cette journée mémorable. Bon anniversaire à tous ces soldats inconnus qui ont allumé une flamme citoyenne qui ne s’éteindra jamais.