samedi 28 mars 2020

URGENCES SANITAIRES ET DÉMARCHES SÉCURITAIRES


Par Oumar NDIAYE*

Les crises sont des moments de déficit de sérénité. Mais elles doivent aussi avoir des heures de lucidité afin de pouvoir comprendre ce qui nous arrive, nous organiser dans l’urgence et les conséquences,  et y faire face demain.
En un laps de temps, une crise sanitaire locale est devenue planétaire. Les systèmes de santé des pays ont été obligés de s’adapter jusqu’à être dépassés. Il est rare de voir une menace sanitaire se globaliser en si peu de temps. C’est une première. Mais ne nous s’y trompons pas. Les menaces à venir seront toutes planétaires. Globalisation oblige. Leurs propagations se feront à grande vitesse… Le cycle des incertitudes gouvernera désormais l’humanité. C’est fini, les certitudes dans plusieurs domaines de la vie active.
Gardons donc à l’esprit que dans l’époque où nous vivons, les crises ne seront pas exceptionnelles. Elles se propageront de manière exponentielle et relèveront d’un caractère multidimensionnel. Déjà éducation, sport, tourisme, tous sont à l’arrêt. Nous vivons donc une ère « crisogène », avec des phénomènes de crise qui s’accélèrent et s’amplifient à un rythme soutenu. Ces crises sont aujourd’hui des menaces sécuritaires et sanitaires et sont des marqueurs et curseurs de notre monde….

DU LOCAL AU GLOBAL. C’est vers la fin des années 60 que le canadien   Marshall Macluhan nous parlait déjà d’un monde devenu village planétaire en référence aux moyens de communications. Sa théorie très célèbre du « Global Village » a pendant longtemps rythmée la vie des sciences de l’information et de la communication. Macluhan n’avait pas tort de nous dire que nous sommes dans un monde « où l'on vivrait dans un même temps, au même rythme et donc dans un même espace ». Une théorie confirmée aujourd’hui par la mondialisation du « tout et de tout ». Des finances au football en passant par Facebook et nous le souhaitons pas des funestes décomptes avec l’urgence sanitaire qui secoue le monde entier.
Parti du local, le coronavirus avec sa trajectoire virale, a atteint un niveau global qui fait peur et inquiète.  L’interdépendance du monde a fait que les séquences sont aujourd’hui les mêmes dans presque toutes les télévisions du monde avec les mêmes conséquences sur nos vies et nos peurs. Partie de Wuhan en Chine continentale, cette pandémie a gagné peu à peu, toutes les autres parties du monde. A ce jour 163 pays sont directement touchés sur un total de 198 pays que compte la planète. C’est dire que ¾ du monde est sujet à cette crise sanitaire. Dans notre époque contemporaine, rare événement n’a eu autant d’attention et donné tant de convulsions que cette urgence sanitaire qui a eu même le don de reléguer sur la touche les problématiques sécuritaires au premier desquelles la question terroriste. Son déclenchement a été local et ses répercussions globales. La connexion entre le local et le global n’a jamais été aussi fatale.
CONTINUUM DEFENSE-SECURITE-SANTE. Depuis le début des années 2000, les bouleversements dans le monde ont été toujours portés par les menaces asymétriques de type sécuritaires qui ont fini de se mondialiser sous diverses formes (terrorisme, trafics de tout genre). Mais aujourd’hui le coronavirus a montré aussi que les urgences sanitaires aussi peuvent nous amener à une situation de dépassement avec ces scènes de vie qui ressemblent à bien des égards à des images de guerre et leur lot de désolation. L’adaptation de nos systèmes de santé face à ce nouveau type de menaces doit se faire à l’aune de celui sécuritaire qui a eu à affronter des menaces du même type. C’est-à-dire de provenance inconnue, diffuse et confuse. Face aux menaces dites asymétriques incarnées essentiellement par le terrorisme, les appareils sécuritaires du monde entier ont été obligés de revoir leur dispositif. Formatées pour faire face aux menaces dites symétriques, c'est-à-dire venant d’un ennemi connu et localisé, souvent un Etat, ces appareils sécuritaires ont vu émerger en face d’elles, de nouvelles menaces diffuses et inconnues. Dans ces réponses, ces appareils ont développé ce qu’ils appellent un continuum entre la sécurité et la défense, c’est-à-dire une coopération étroite entre les acteurs publics civils et militaires qui n’est pas contradictoire avec des cultures professionnelles et des référentiels juridiques spécifiques.  La défense implique la protection d’un territoire face à des menaces externes alors que la sécurité a été mise en avant pour protéger les citoyens à l’interne. Ces deux aspects devraient être pris en compte pour voir comment faire face aux autres urgences sanitaires à venir. Et aussi mettre la riposte sanitaire en amont ou en aval et qui doit être le fil conducteur de ce continuum…..
Cette crise est une occasion ainsi pour notre système de santé d’apprendre sur lui-même, d’apprendre des autres et apprendre aux autres. Chez les Chinois, où a pris départ cette crise sanitaire planétaire, ils désignent le terme « wei ji » pour traduire le mot crise avec ainsi deux versants, le risque et l’opportunité. Opportunité pour comprendre, d’apprendre de sa fragilité, de s’adapter et capacité à faire face à l’urgence.
Donc apprenons et adaptons nous vite.  « Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent », nous enseigne aussi la sagesse d’un grand maitre chinois, Sun Tzu, connu pour être un chantre de la pensée sécuritaire…
Wuhan n’était pas si lointain de nous alors…..

*Journaliste et diplômé en Relations internationales et études de sécurité